
Avant-gardiste, le législateur français a introduit le devoir de vigilance des sociétés mères (longtemps considéré comme de la soft law) dans le droit positif, avant même qu’il ne soit envisagé par l’Union européenne. Un tel devoir fera toutefois bientôt partie du cadre législatif européen, puisqu’il fait actuellement l’objet d’une proposition de directive, consultable à l’adresse suivante : https://bit.ly/3uqJU7q.
Mais que contient exactement la « loi [française] de vigilance » (loi n°2017-399 du 27 mars 2017), et à quelles entreprises s’applique-t-elle ?
Tout d’abord, ce devoir de vigilance ne concerne que les entreprises ayant leur siège en France et dépassant certains seuils, qui sont les suivants : au moins 5000 salariés dans la société mère et ses filiales françaises, ou bien au moins 10 000 salariés dans la société mère et ses filiales françaises ou étrangères.
Ensuite, l’article L225-102-4 du Code de commerce français met à la charge de ces sociétés mères l’obligation d’établir un plan de vigilance comportant des mesures propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits de l’homme, les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, et ce tant pour leurs propres activités que pour celles des filiales qu’elles contrôlent. Le plan de vigilance, accessible au public, doit alors contenir une cartographie des risques, des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, sous-traitants ou fournisseurs, un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence de risques, un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre, etc.
Face à un manquement de la société, deux actions sont possibles : une action préventive (prévue à l’article L225-102-4) et une autre en responsabilité (à l’article L225-102-5 du même Code). D’une part, grâce à l’article L225-102-4 du Code de commerce français, toute personne justifiant d’un intérêt à agir peut mettre la société en demeure de respecter ses obligations. Dans le cas où la mise en demeure reste infructueuse 3 mois après, la juridiction compétente peut enjoindre la société, sous astreinte, de respecter ses obligations. D’autre part, l’article L225-102-5 du même Code permet quant à lui d’engager de la responsabilité civile de la société (en application de l’article 1240 du Code civil français), en vue de réparer le préjudice que son inexécution aurait causé. Il convient enfin de mentionner que l’amende civile initialement prévue à l’encontre des sociétés défaillantes a été déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel français, faute de précision dans la définition des obligations.
Plusieurs ONG ont récemment invoqué ce devoir de vigilance à l’encontre de la banque française BNP Paribas, mise en demeure en octobre 2022. Ces dernières lui reprochent de ne pas respecter son devoir de vigilance, notamment en raison de son manque d’implication dans la lutte active contre la déforestation. En effet, selon lesdites ONG, BNP Paribas financerait des acteurs participant à la déforestation de la forêt amazonienne. La nouvelle version de l’article L225-102-4 du Code de commerce français (qui entrera en vigueur le 1er janvier 2024) met d’ailleurs à la charge des « sociétés produisant ou commercialisant des produits issus de l’exploitation agricole ou forestière » d’inclure dans leur plan de vigilance des mesures « propres à identifier les risques et à prévenir la déforestation ». Sur ce point, le jugement relatif à l’affaire du projet EACOP (construction d’un oléoduc en Tanzanie) de TotalEnergies, qui aura lieu en décembre 2022, apportera sans doute de nouveaux éléments d’interprétation sur ce devoir français de vigilance.
Côté européen, la proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, présentée en février 2022, reprend globalement les mêmes obligations : intégration du devoir de vigilance dans les politiques d’entreprise (article 5 de la proposition) ainsi que sa communication publique (article 11), recensement des incidences négatives réelles ou potentielles (article 6), prévention et atténuation de ces dernières (articles 7 et 8) et mise en place d’une procédure de plainte (article 9) pouvant être déposée non seulement par les personnes effectivement ou potentiellement touchées mais aussi par les syndicats ou organisations de la société civile. De même, à l’instar du droit français, l’article 22 de la proposition prévoit la possibilité d’engager la responsabilité civile des sociétés concernées. De plus, l’article 20 encourage les Etats membres à mettre en place des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, ainsi que des sanctions pécuniaires fondées sur le chiffre d’affaires. Là encore, pour des questions de transparence, les décisions prises par les autorités nationales de contrôle comportant des sanctions devront être publiées.
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Marco Amorese
Jeanne Deniau