L’application dans le temps de la directive 2014/104 relative aux actions en réparation pour les infractions au droit de la concurrence a encore donné du fil à retordre à la Cour de justice de l’Union européenne, qui s’est prononcée en juillet 2022 dans un arrêt Volvo et DAF Trucks. L’enjeu est de taille puisque plus la directive s’applique largement dans le temps, plus il sera facile pour le demandeur de prouver l’existence et le montant de son préjudice.

D’une part, la Cour affirme qu’est substantielle la disposition relative au délai de prescription (article 10), ainsi que celle posant une présomption de l’existence d’un préjudice suite à une entente (article 17§2). Non rétroactivité oblige (conformément à l’article 22§1), les dispositions nationales prises en application de ces dispositions substantielles ne s’appliquent pas aux situations acquises avant l’expiration du délai de transposition. Même si le point de repère temporel est toujours le même (la date d’expiration du délai de transposition), la Cour analyse différemment la situation selon les dispositions concernées. Pour déterminer si l’article 10 relatif à la prescription de l’action a vocation à s’appliquer, la Cour se sert du point de départ et du délai de prescription prévus par la règle nationale ancienne, c’est-à-dire en vigueur avant la loi de transposition. Si le délai de prescription a continué à courir après l’expiration du délai de transposition, ce qui est le cas en l’espèce, alors l’action entre dans le champ temporel d’application de l’article 10 de la directive, qui est donc applicable. S’agissant de l’article 17§2, la Cour observe si l’infraction au droit de la concurrence à l’origine du préjudice a pris fin avant l’expiration du délai de transposition. Si c’est le cas, comme en l’espèce, la situation était acquise avant l’expiration du délai de transposition, empêchant ainsi le demandeur de se prévaloir de la présomption issue de l’article 17§2.

D’autre part, la faculté, à l’article 17§1, pour les juges nationaux d’estimer le montant du préjudice n’est pas une disposition substantielle selon la Cour, mais simplement procédurale, comme toute règle relative à la charge et au niveau de preuve. Ainsi, conformément à l’article 22§2, seules les actions en réparation introduites après l’entrée en vigueur de la directive peuvent s’appuyer sur l’article 17§1.

Commentaire : En résumé, régler l’application dans le temps des dispositions de la Directive Dommage est une tâche délicate, faute de clarté de l’article 22§1 de la directive. La rédaction défectueuse dudit article n’aide pas les juges européens, qui se sont vus reprochés la complexité de leurs arrêts en la matière, comme ce fut le cas dans l’affaire Cogeco.Par exemple l’article 17, la Cour considère que les règles de charge et de niveau de preuve du paragraphe 1 sont purement procédurales et non substantielles, contrairement à la présomption posée au paragraphe 2. Mais l’objet d’une présomption n’est-elle pas justement de renverser la charge de la preuve ? La position de la Cour semble alors paradoxal : elle permet d’abord au requérant d’introduire son action en réparation, mais lui refuse ensuite le bénéfice de la présomption de préjudice.

Enfin, bien que complexe et critiquable, l’arrêt Volvo et DAF Trucks a au moins le mérite de fixer le point de départ de la prescription. En effet, sous l’empire de l’ancienne loi espagnole, la prescription commençait à courir à compter de la connaissance du fait générateur par la victime. Dans l’affaire du cartel de camions, dont les participants ont été sanctionnés par la Commission européenne en 2016, la date à retenir est donc, selon la Cour, celle du jour de la publication du résumé de la décision de la Commission au Journal officiel de l’UE, résumé contenant des informations assez détaillées sur l’affaire et disponible dans toutes les langues officielles de l’Union, contrairement au simple communiqué de presse.

Marco Amorese
Jeanne Deniau